Se souvenait-il de toi ? Comment a-t-il réagi en apprenant que tu te trouvais à Londres ?
Il se souvenait apparemment bien, mais à vrai dire je n’avais pas manqué de lui faire passer une grande partie de mon portfolio pour mémoire. Son message était clair : il souhaitait me rencontrer dans l’après-midi pour voir mon travail. Il n’y avait plus qu’à franchir les portes tambour de l’hôtel…

Dit comme ça, ça paraît tellement simple !
Je n’ai pas eu d’autre choix que d’aller directement à la réception et d’essayer calmement d’expliquer à un concierge plutôt dubitatif que je venais de recevoir un coup de fil de son célèbre résident et que celui-ci souhaitait me voir. Sa première réaction fut de bien rigoler face à cette affirmation et de me confier qu’on lui avait déjà fait le coup avec Justin Timberlake. Devant son refus de me croire, je me suis retrouvée dans l’obligation de lui faire écouter le message que Michael m’avait laissé quelques minutes plus tôt, c’est alors que j’ai vu l’expression de son visage changer radicalement, il s’est retourné vers son collègue est lui a chuchoté : « C’est bien sa voix, je l’ai déjà eu au téléphone, c’est bien lui ». Après s’être excusé, le concierge a dégainé son téléphone pour prévenir l’équipe de Michael que j’étais à la réception.

Enfant à l'épée dessiné par Céline LavailComment se sont déroulées les « retrouvailles » ?
J’étais à la fois stressée et excitée par mon petit exploit : l’histoire se répétait. Après avoir attendu plus d’une heure et demie dans une suite de l’hôtel avec tout de même assez de boissons et de nourriture pour rassasier un régiment, on m’a conduite à l’étage de Michael. C’est alors qu’il est arrivé en compagnie de son fils Blanket. Égal à lui-même il s’est excusé platement de son retard et m’a avoué avoir attrapé froid lors de son passage au Japon – nous avons échangé quelques politesses et la discussion s’est rapidement orientée sur mon travail et ce que j’avais de nouveau à lui présenter.

L’as-tu trouvé changé par rapport au souvenir que tu gardais de lui ?
Il était plus menu que dans mes souvenirs, mais mis à part cela j’ai eu la joie de retrouver la même personne attentive et enthousiaste que j’avais pu rencontrer des années avant. Il feuilletait mon portfolio avec intérêt et commentait chaque page en attirant l’attention de Blanket sur tel ou tel détail. Il s’est par exemple arrêté sur un dessin au crayon représentant un petit garçon brandissant une épée en bois (cf ci-contre) et a remarqué qu’il ferait un très beau logo pour une association. Michael était particulièrement enjoué ce jour là et s’est même essayé à quelques blagues avec son responsable de la sécurité.

Quels projets avez-vous engagés en commun par la suite ?
Lors de cette entrevue j’avais à cœur comme souvent de lui demander s’il avait pour moi des pistes de création, des thèmes privilégiés sur lesquels il aurait aimé que je travaille. Michael pouvait se montrer très directif dans ses demandes comme le jour où il m’a décrit jusqu’au moindre détail une scène qui allait devenir le tableau intitulé « Inspiration », ou bien alors lancer une idée et me laisser la travailler librement tout en donnant son avis deci delà jusqu’au résultat final comme dans le cas du tableau « Archangel ». Ce jour là à Londres la conversation a pris un ton philosophique et s’est cristallisée autour de la puissance des Arts et du fait que la création d’excellence avait une réelle dimension éternelle. Au fil de la discussion pendant laquelle Michael a tour à tour évoqué le travail de Michel-Ange, Tiepolo et du Caravage, j’ai lancé l’idée d’un portrait à la manière des allégories, une pièce qui illustrerait le caractère éphémère de la vie humaine face à la pérennité et à la force des Arts : cette idée l’a de suite emballé et s’en est suivi quelques minutes de brainstorming pour définir à la volée les grandes lignes de la composition de cette future pièce qui allait par la suite s’intituler « Allegory ».

Céline Lavail retrouve Michael Jackson à Londres en 2007

Céline Lavail retrouve Michael Jackson à Londres en 2007

La présentation d’Allegory à Michael Jackson s’est déroulée fin 2008 de l’autre côté de l’Atlantique. Le destin allait faire de cette rencontre leur dernier face-à-face.

Je crois savoir que c’était la première fois que tu effectuais un voyage aussi long pour un rendez-vous avec lui. Qu’est-ce qui était différent cette fois-ci, qu’est-ce qui t’a poussée à effectuer ce long périple ?
Il est vrai que mes entrevues avec Michael se sont toutes déroulées en Europe, que ce soit à Paris, Munich, Berlin ou encore à Londres. En ce mois de novembre 2008 c’est à Los Angeles que Michael m’a donné rendez-vous pour lui présenter « Allegory ». Il ne prévoyait semble-t-il pas de voyager en Europe à cette période et son personnel m’avait initialement proposé de lui faire parvenir cette toile à Las Vegas : chose qui ne m’emballait pas vraiment. Au-delà des risques du transport, j’ai toujours mis un point d’honneur à présenter moi-même toutes mes réalisations à Michael et j’adorais par-dessus tout observer ses réactions. Après quelques échanges avec son équipe rendez-vous était finalement pris à l’hôtel Beverly Hills de Los Angeles pour lui présenter le fruit de mon travail.

Comment s’est déroulé ce face-à-face ?
Après avoir transmis à Michael quelques lettres de fans qui m’avaient été confiées j’ai entrepris de dégager le tableau des nombreuses couches de papier bulle qui le protégeaient afin de le lui présenter ; alors que je luttais avec l’emballage Michael s’est tout à coup agenouillé à mes côtés pour m’aider à libérer plus rapidement la bête et c’est donc tous deux assis par terre sur la moquette que nous avons détaillé l’œuvre ! Parmi tous les objets représentés, Michael a de suite repéré le grimoire qui se trouve en arrière plan à gauche et m’a demandé la signification de la phrase inscrite dessus : je n’étais pas peu fière de lui expliquer qu’il s’agissait de la devise de Paris (Fluctuat nec mergitur, c’est-à-dire « Il est battu par les flots, mais ne sombre pas »), une déclaration de force qui dans le contexte s’appliquait aux Arts puisque le tableau était émaillé d’objets et d’allusions qui se référaient à la fois au caractère universel et intemporel des Arts mais également à la fragilité de la condition humaine.

Allegory - Tableau réalisé pour Michael Jackson par Céline Lavail

A l’occasion de cette rencontre, a-t-il évoqué l’avenir, d’autres envies, d’autres projets ?
Ce jour là Michael m’est apparu très excité en évoquant des « projets » sur lesquels il était en train de travailler d’arrache-pied. J’avais de mon côté constaté que notre entrevue avait visiblement été arrangée entre plusieurs rendez-vous d’affaires qui se succédaient à l’hôtel. Le « projet » en question s’avèrera plus tard être le fameux contrat avec AEG pour une nouvelle tournée.

Il est dans la nature humaine de refaire le monde… et encore davantage après les tragédies. Chacun porte son propre fardeau de « Si seulement j’avais… » Quel est le tien ? As-tu des regrets, qu’ils soient futiles ou plus profonds ?
Je crois que j’aurais tout d’abord aimé prendre le temps de mieux apprécier ces moments passés avec Michael car finalement le timing souvent imposé, le stress et l’excitation faisaient que je ressortais parfois de mes entrevues avec l’impression de n’avoir pas réellement profité pleinement de la chance qui m’était donnée de discuter avec lui. Il y a tant de sujets que j’aurais aimé avoir eu le temps d’aborder avec lui sur la vie, sur l’art : il était profondément instruit et m’a à plusieurs reprises appris des choses sur tel ou tel peintre, tel ou tel tableau qu’il aimait bien. Je dois avouer qu’il m’est d’ailleurs arrivé de faire semblant de connaître l’œuvre d’un artiste qu’il évoquait et aussitôt sortie de la pièce de me ruer sur Internet pour savoir à qui il pouvait bien faire allusion ! Dans un autre registre, je regrette de n’avoir jamais osé lui demander de me dessiner un petit quelque chose, lui qui griffonnait à tout va…

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