L’histoire de Céline Lavail est longtemps restée confidentielle… jusqu’à ce qu’elle se voie accorder plusieurs pages dans la seule publication officielle posthume autorisée par les gestionnaires du patrimoine de l’artiste : l’Opus Michael Jackson. Elle y partageait le chapitre Art avec deux autres artistes majeurs ayant marqué le parcours du chanteur : David Nordahl et Nate Giorgio.

Céline, je dois t’avouer qu’à chaque fois que nous réalisons une interview, nous effectuons nos propres recherches sur notre invité et j’ai été surprise d’apprendre que tu n’avais pas été payée pour participer à l’Opus Michael Jackson, pas plus que les autres contributeurs. L’éditeur t’a proposé de prendre part au projet. Quels arguments t’ont convaincue d’y participer ?
J’ai été contactée début août 2009 par la société Opus Media Group qui était en charge de coordonner la réalisation de ce livre officiel. Ils avaient rencontré Michael durant le printemps afin de signer un contrat pour la réalisation d’un livre mammouth sur sa carrière. Lors de ce rendez-vous, ils avaient visiblement établi ensemble les grandes lignes de ce à quoi allait ressembler l’ouvrage final. L’une des demandes de Michael ciblait l’art – il souhaitait notamment que le livre comprenne une partie dans laquelle on pourrait retrouver une grande partie de sa collection de portraits et d’illustrations, un peu à l’image de ce qui avait été fait dans son recueil de poèmes Dancing the Dream. C’est dans cette optique que la société d’édition Opus s’est mise en contact avec David Nordhal, Nate Giorgio et moi-même.

Le projet m’a été présenté comme un hommage à Michael, à sa carrière et à son art à travers le témoignage de ses proches et des gens avec qui il a collaboré au fil des années. De plus, il s’agissait d’un produit officiel dont les bénéficiaires n’étaient autres que les enfants et la mère de Michael. A partir de là, c’est sans hésiter que j’ai accepté de céder gracieusement les droits de reproduction de mon travail aux éditeurs et de rédiger un texte pour illustrer mon histoire avec Michael.

La première double page consacrée à Céline dans l'Opus Michel Jackson

La première double page consacrée à Céline dans l’Opus Michel Jackson

Inévitablement, l’Opus t’a apporté une exposition médiatique nouvelle : non seulement tu es la seule française du livre mais en plus, ton histoire représente du pain béni pour n’importe quel média ! C’est le conte de fées de « la petite lycéenne qui a attiré l’attention de la superstar inaccessible »… J’imagine que tu as reçu beaucoup de propositions d’interviews. Est-ce que tu as dit oui à tout et surtout, y a-t-il des dérives que tu as tenté d’éviter ?
C’est vrai que la parution de l’Opus a mis en lumière mon travail pour Michael et ce que j’avais pu vivre. Cela a apporté son lot de sollicitations bonnes et mauvaises : j’ai logiquement accepté de participer à la promotion de l’Opus à travers quelques articles et interviews notamment dans Paris Match dans la mesure où j’avais la garantie que la mémoire de Michael serait respectée et honorée mais je dois avouer que j’ai refusé un bon nombre de propositions de journalistes qui me semblaient malhonnêtes et sensationnalistes. J’ai essayé dans la mesure du possible d’éviter que mes propos soient déformés ou mal interprétés – ce qui arrive malheureusement très vite lorsqu’il est question de Michael Jackson.

Je vais mettre les pieds dans le plat mais le Midi Libre a publié un article où tu parles de Michael Jackson comme étant « ton pote ». Pourtant, tu n’as pas l’air de le présenter comme tel. Certains de tes propos ont-ils été mal interprétés ou mal retranscrits ?
C’est une parfaite illustration de ce que j’aurais aimé éviter : Michael avait en privé un naturel simple, ouvert, amical et très à l’écoute des autres. J’ai de ce fait expliqué à la journaliste que l’atmosphère de nos rendez-vous était plutôt décontractée et que Michael faisait son possible pour me mettre aussi à l’aise que si j’étais avec des proches. Je pense que mon explication a peut-être été mal comprise et il est vrai que Michael avait une image de star totalement inaccessible, y compris pour beaucoup de journalistes. Du coup, le simple fait de l’avoir rencontré à un jeune âge et à plusieurs reprises peut leur sembler ‘hors norme’ et les conduire à parler d’amitié là où il s’agissait avant tout, en réalité, d’une complicité purement artistique.

Nous avons appris il y a peu par l’un des gardes du corps de Michael Jackson que l’un des tableaux de Céline Lavail, « Inspiration », trônait en bonne place dans sa propriété d’Holmby Hills au moment de sa disparition. Preuve s’il en est de l’attachement qu’il vouait à ses œuvres.

Michael Jackson était un autodidacte et appréciait beaucoup ce trait chez les autres. Il avait toujours une soif d’apprendre, au-delà d’une formation académique au sens strict… De ton côté, tu n’es pas diplômée des Beaux-arts. T’a-t-il questionnée sur ta manière de travailler, sur tes influences? Ce faisant, es-tu parvenue à cerner ce qui lui plaisait dans tes œuvres, ce à quoi il attachait de l’importance ?
L’un de ses premiers réflexes lorsque je l’ai rencontré pour la première fois a été de me demander si j’étudiais l’art, ce à quoi j’ai répondu par la négative. C’est alors qu’il m’a très fortement encouragée à travailler ce don de Dieu, car c’était selon lui un cadeau qu’il ne fallait pas mépriser. Michael était intarissable sur l’art classique, il avait une réelle passion pour les grands maîtres de la Renaissance italienne mais également pour les peintres français du 18ème siècle. Il avait beaucoup appris dans les livres et en voyageant. Il avait effectivement une grande soif d’apprendre mais également de transmettre et cela transpirait dans ses conversations.

Il aimait par-dessus tout comprendre le processus de création d’une œuvre, ce qui passait inévitablement par une interrogation sur l’inspiration de base, puis sur les techniques employées. Michael avait toujours mille questions à poser sur la façon dont tel ou tel effet était produit sur la toile, si bien qu’il m’est arrivé de ne pas savoir quoi lui répondre ne sachant moi-même pas réellement comment j’étais arrivée à un tel résultat – devant mon hésitation, c’est en indiquant le ciel de son doigt que Michael a lâché : « ça vient de là haut ». C’est l’art figuratif teinté de fantaisie qui avait sa préférence et je crois que c’est quelque chose qui se retrouve dans mon travail aussi bien que dans celui de Nate Giorgio ou David Nordhal. Michael appréciait la délicatesse et la précision du trait comme chez William Bouguereau, les détails et la symbolique des œuvres. Il fallait que chaque pièce raconte une histoire évidente ou bien encore cachée au travers de détails présents dans la toile. Nous partagions ces goûts et je n’ai donc pas eu à beaucoup me forcer ou à trop analyser les choses pour arriver à cerner ses attentes.

Parmi les fans qui ont croisé sa route, on dirait que deux tendances se distinguent : certains ont entretenu avec lui une relation presque amicale, passant des vacances avec lui, l’accompagnant – à son invitation – dans des sorties shopping… Pour d’autres, dont tu fais partie, on a l’impression que la relation était davantage axée sur un partage strictement artistique. Est-ce le cas ? As-tu cherché à le connaître de manière plus « personnelle », au-delà de son art ?
L’une de mes plus grandes fiertés est d’avoir su obtenir sa reconnaissance au travers de mon travail, d’avoir réussi à capter son attention de façon durable et à partir de l’instant où j’ai perçu qu’éventuellement il serait possible de pousser cette relation en ce sens je me suis concentrée sur cet aspect. Il est donc légitime de qualifier notre relation de strictement artistique car c’est effectivement la carte que j’ai jouée et celle avec laquelle j’avais le plus de chance de retenir son attention. Rien ne me fascinait plus que d’avoir de petites conversations avec lui sur ce qu’il pensait de Nicolas Poussin ou encore de Jean-Baptiste Carpeaux, d’avoir son ressenti sur mon travail, de recevoir ses encouragements : c’était une vraie addiction en quelque sorte. J’aurais bien entendu aimé le connaître de façon plus personnelle mais je n’ai jamais cherché à le faire par pudeur et par respect aussi.

Lui est-il arrivé de te téléphoner ?
C’est arrivé effectivement. Contrairement à la réaction première de beaucoup de personnes qui ont un jour reçu un coup de fil de Michael et qui ont pensé en premier lieu à une mauvaise blague, j’ai tout de suite reconnu sa voix. Ses coups de fil peuvent néanmoins se compter sur les doigts d’une main.

Te fixait-il un rendez-vous téléphonique au préalable ou appelait-il sans crier gare, parce qu’il avait envie de parler ?
Il appelait généralement très tard le soir voire dans la nuit – sans prévenir la plupart du temps, en réaction à un croquis envoyé ou pour savoir où en était une pièce. Certains appels pouvaient être planifiés : une personne de son équipe m’informait au préalable que Monsieur Jackson allait m’appeler à telle heure et qu’il fallait me tenir prête. Cela m’a valu quelques nuits blanches passées à côté du téléphone, à vérifier que je captais bien et qu’il y avait bien de la tonalité !

Paradox par Céline LavailTu as vu de lui une facette que peu de gens peuvent se vanter d’avoir approchée : sa « profondeur », sa finesse et sa culture. Certaines personnes lui ont beaucoup reproché sa vision du monde un peu naïve, sa conviction qu’il pouvait « guérir le monde », l’image très lisse qu’il s’efforçait de donner de lui en interview. Selon toi, pourquoi ce « dédoublement de personnalité » de sa part ?
Je suis toujours attristée de constater que beaucoup de gens perçoivent encore Michael comme une personne puérile et superficielle car il était tout le contraire. C’était une personne certes complexe et duale avec d’un côté cette fascination pour l’enfance, le jeu, l’insouciance et de l’autre une profonde érudition en matière d’Art, un perfectionnisme, un professionnalisme et une réelle conscience humanitaire. Je pense que cette dualité était quelque part nécessaire, c’était une sorte de soupape de sécurité et une manière pour lui de s’évader d’un monde très dur et dans lequel la pression est constante : celui du show-business.

La plupart de tes œuvres sont bien connues aujourd’hui mais j’aimerais revenir sur certaines d’entre elles, qui apparaissent dans la galerie photo de ton site… en commençant par une œuvre inachevée baptisée « Paradox »… Peux-tu nous raconter l’histoire de ce tableau ?
Paradox est un portrait non achevé à ce jour (cf ci-contre) ce qui est plutôt rare chez moi. J’ai commencé cette pièce en octobre 2008 après avoir terminé Allegory. Le concept de la toile était de représenter la dualité de la vie : d’un côté l’adversité et la souffrance et de l’autre la plénitude et la spiritualité – de ce fait le tableau était scindé en deux avec de part et d’autre d’un Michael mi-vulnérable, mi-conquérant, avec des éléments se rapportant à des états opposés.

Ainsi j’avais prévu sur la partie gauche un paysage très urbain et hostile avec notamment une centrale nucléaire et une forêt de micros menaçants pointant en direction de Michael, de l’autre j’avais mis en place un arbre s’élevant vers le ciel et dont les branches se transformaient petit à petit en l’intérieur d’une chapelle sacrée baignée d’une lumière filtrée par des vitraux, une sorte de cathédrale qui devait symboliser la scène et la musique de Michael. Pour une raison que j’ignore, j’ai commencé à avoir de plus en plus de mal à travailler sur cette composition jusqu’à ce que j’abandonne totalement. Je ne pense d’ailleurs pas la finir un jour.

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